Estimé à 18 milliards d’euros pour l’année 2024, le déficit de la Sécurité sociale toutes branches confondues a finalement atteint 15,3 milliards dont l’essentiel provient
de l’assurance maladie (13,8 milliards).
Si on regarde d’un peu plus près les chiffres, le déficit est supérieur de près de 5 milliards d’€ (ce qui n’est pas rien) par rapport à la prévision : il est dû pour les trois quarts à un moindre rendement des recettes et pour un quart à une augmentation des dépenses de la branche maladie supérieure à l’objectif fixé.
En ce qui concerne le déficit de la branche maladie, il s’est creusé de 3,6 milliards (+ 4 %) en 2024. Cet accroissement s’explique par la montée en charge en année pleine des mesures salariales de l’été 2023 des établissements de santé ainsi que de l’effet en année pleine de la hausse des tarifs des consultations des médecins généralistes et spécialistes (mai 2023). Il est important de rappeler que le Ségur de la santé a occasionné 13,2 Md€ de dépenses pour l’assurance maladie en 2023, dont 10,9 Md€ concernent les revalorisations salariales en établissements sanitaires et médico-sociaux. Il s’avère que ces dépenses supplémentaires n’ont pas été financées par des recettes supplémentaires.
En outre les années 2022 et 2023 fortement marquées par un niveau d’inflation élevé (+ 4,8 % en 2023, après +5,3 % en 2022), ont occasionné des dépenses exceptionnelles
(+4,8 milliards en 2023) notamment pour faire face aux charges pesant sur les établissements sanitaires et médico-sociaux. L’inflation a donc représenté une dépense supplémentaire de 7,4 Md€ pour les années 2022 et 2023.
Enfin les recettes ont été plus faibles qu’attendues en raison de la conjoncture.
Au final il n’y a pas de dérapage incontrôlé des dépenses de protection sociale mais bien un niveau de ressources insuffisant.
La Cour des comptes considère que « les facteurs d’aggravation du déficit en 2024 tiennent en partie à la difficulté persistante d’anticiper les évolutions de recettes et de dépenses après les perturbations liées à la crise sanitaire.
Faute de s’attaquer aux causes réelles des déficits, le gouvernement est donc en train de poursuivre une trajectoire d’accumulation des déficits qui pourrait selon la Cour des comptes, atteindre 115 milliards d’euros en 2028. L’institution estime que le financement de ces déficits par l’agence centrale des organismes de Sécurité sociale pourrait faire peser un risque sur le versement des prestations. Il existe donc de fortes probabilités que ces nouveaux déficits soient repris par la CADES (Caisse d’amortissement de la dette sociale) et que très prochainement de nouvelles coupes dans les dépenses (notamment de santé) soient prises afin de réduire le niveau du déficit, comme le suggère une autre note de la Cour des comptes.
La CADES dont la création remonte à 1996 était destinée à refinancer et apurer la dette sociale de l’époque. Sa durée de vie qui était alors fixée à 13 ans et un mois, aurait dû s’éteindre le 31 janvier 2009. Mais depuis, tous les gouvernements n’ont cessé de repousser son terme et d’y transférer de nouveaux déficits. La dernière opération date de 2020 et a organisé la reprise de 136 milliards d’euros de déficits se répartissant ainsi :
- 31 milliards au titre des déficits antérieurs à 2020,
- 92 milliards au titre des déficits 2020-2023 des différentes branches de la sécurité sociale,
- et 13 milliards de dette hospitalière.
La CADES est financée par la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) au taux de 0,5%, une fraction de la CSG (0,45 %) depuis 2009 et un versement du fonds de réserve des retraites (FRR) depuis 2011.
En 2024 ses ressources devraient s’élever à 19,1 milliards d’euros dont 9,2 milliards de CRDS, 7,8 milliards de CSG et 2,1 milliards du FRR (1,45 milliard à compter du 1er janvier 2025).
Fin 2023 la Cades portait une dette sociale de 145 milliards à rembourser d’ici le 31 décembre 2033.
Pour la rembourser la CADES est habilitée à contracter des emprunts sur les marchés par l’intermédiaire de l’Agence France Trésor (AFT).
Le transfert permanent des déficits cumulés du régime général de sécurité sociale à la CADES n’est plus acceptable pour plusieurs raisons.
D’une part ils sont essentiellement supportés par les salarié·es et les retraité·es au travers de la CRDS et de la CSG, les entreprises n’étant pas mises à contribution.
De l’autre, continuer à accumuler des dettes revient à reporter le financement des déficits actuels sur les générations futures.
Cette situation loin d’être nouvelle est bien le signe d’un sous financement structurel de la Sécurité sociale auquel il convient de s’attaquer résolument.
Les mesures envisagées dans le premier PLFSS 2025 pour tenter de réduire les dépenses (baisse des remboursements) et augmenter les recettes de l’assurance maladie étaient à la fois vaines et dérisoires tant la situation appelle des mesures structurelles de fond. Même si la plupart d’entre elles n’ont pas été reprises dans la loi votée définitivement en février 2025, elles risquent de resurgir très prochainement mais avec un nécessaire changement d’échelle compte tenu de la situation des comptes de la sécurité sociale (déficit attendu de 22 milliards en 2025 et 24 milliards en 2028 ! Si l’on en doutait, il suffit de lire la note de synthèse de la Cour des comptes sur la régulation des dépenses d’assurance maladie. Celle-ci préconise toute une série de mesures d’économies pour réduire les dépenses de santé de 19,4 milliards à 21,4 milliards d’euros d’ici à 2029. Une feuille de route toute tracée et des mesures prêtes à l’emploi pour faciliter la tâche d’un gouvernement aux abois et arque bouté dans sa volonté de réduire les déficits publics (budget de l’Etat et budget de la Sécurité sociale) en agissant sur les dépenses et son refus persistant d’augmenter les prélèvements obligatoires (impôts ou cotisations).
Parmi les propositions de la cour, rien de nouveau, on retrouve pêle-mêle : la lutte contre les fraudes, la réduction de dépenses «non pertinentes » (ALD, transports sanitaires, médicaments génériques…), la restructuration des services hospitaliers pour assurer «qualité et sécurité des soins », une nouvelle répartition de la prise en charge des dépenses de santé (augmentation de part des assuré·es et des complémentaires santé), la Cour envisage même « de repenser le champ des soins remboursés par l’assurance maladie obligatoire en fonction du niveau de revenus des assurés, comme cela est appliqué en Allemagne ».
L’intention affichée dans la note de la Cour de « rééquilibrer le financement du système de santé entre solidarité et responsabilisation » est loin d’être une opération neutre et loin d’être de simples transferts de l’assurance maladie obligatoire vers les complémentaires. C’est poursuivre sur la voie du marché qui est plus cher et plus inégalitaire.
Continuer à tailler ainsi dans les dépenses de santé (augmentation des tickets modérateurs, déremboursement d’actes ou produits comme les médicaments) dont les effets ont une efficacité limitée est particulièrement dangereux pour plusieurs raisons. Ces mesures vont contraindre une partie de la population à renoncer aux soins pour des raisons financières ou encore à diminuer son pouvoir de vivre en diminuant les prestations sociales. En effet le coût cumulé d’une couverture complémentaire et du reste à charge pèse de plus en plus lourdement dans le budget des ménages et tout particulièrement pour les plus modestes. Les primes et restes à charge pèsent 6 % du revenu des ménages les plus précaires, contre 3 % de celui des plus aisés.
Il faut toujours avoir à l’esprit que les tarifs des complémentaires santé dépendent très directement du niveau de garantie offert et « choisi » par les personnes : plus la couverture est généreuse et plus la prime est élevée.
A contrario, faute de revenus suffisants le reste à charge sera d’autant plus élevé, ce qui est profondément injuste et inégalitaire. Or il faut rappeler avec force qu’avec l’assurance maladie obligatoire chacun·e paie une cotisation proportionnelle à ses revenus et reçoit en contrepartie un remboursement qui est le même pour tout le monde et qui dépend de son état de santé et non de son revenu. Ce système étant plus juste, il est impératif qu’il devienne plus complet et prenne en charge 100 % des dépenses de soins afin d’éviter au secteur privé de s’engouffrer dans les brèches.
Les désengagements successifs (déremboursements, multiplication des forfaits et franchises) auxquels on assiste depuis la fin des années 1980, tous motivés par la réduction de la dépense publique et au passage responsabiliser les assuré·es, ont eu pour effet de transférer aux assurés sociaux une part de plus en plus conséquente de leurs dépenses de santé. Ces politiques ont conduit au développement d’un marché des complémentaires santé et à sa concentration qui fait une place de plus en plus importante à des organismes qui appartiennent de moins en moins au champ du social et de la solidarité. Aujourd’hui la logique à l’œuvre est celle de la concurrence et de la rentabilité via la sélection par les revenus ou l’âge.
Les futurs reculs de l’assurance maladie obligatoire tels qu’ils sont préconisés par la Cour des comptes vont accentuer une privatisation du système de santé déjà bien amorcée. La privatisation est une voie dangereuse car elle contribue aux inégalités et à la remise en cause du contrat social au sein de la société.
Cumuler au fil des ans des déficits sans agir sur leurs véritables causes, s’en débarrasser régulièrement en les transférant à la Cades, tenter de les colmater par des mesures injustes et inégalitaires n’est plus possible ni acceptable. La situation actuelle est caractéristique d’un sous financement structurel de la Sécurité sociale auquel il convient de s’attaquer résolument. Les déficits ne sont pas liés à des dérapages, des abus ou encore des excès mais bien à un refus idéologique d’adapter le financement aux besoins de la population.
Cela est particulièrement vrai pour la branche maladie qui est la plus déficitaire. Mais cela ne veut pas dire non plus qu’il n’est pas nécessaire de s’interroger sur l’utilité et l’efficacité de certaines prestations ou dépenses.
Ainsi les inégalités dans l’accès au système de santé (déserts médicaux, pénurie de médecins et de soignant·es, dépassements d’honoraires, revenus insuffisants …) qui contraignent une partie de la population à renoncer à des soins ne peuvent plus être tolérés.
Il est plus que temps de repolitiser le débat et de ne plus s’accommoder des dérives qui remettent en cause les valeurs portées par le système et aujourd’hui bafouées. Nous devons nous mobiliser pour une assurance maladie qui rembourse les soins de santé à 100 % et faire que plus personne n’ait à y renoncer, pour que chacun·e puisse recevoir les soins dont il ou elle a besoin, indépendamment de sa situation financière.
Nous devons en revenir à deux fondamentaux : la protection de la santé un droit fondamental inscrit dans le préambule de la Constitution de 1946 et la garantie d’un égal accès de chaque personne aux soins nécessités par son état de santé inscrite dans le code de la santé publique. Pour y parvenir il est nécessaire de repenser son financement et de l’adapter aux enjeux.
En conclusion il convient de porter des revendications claires et précises sur les modes de financement des 5 branches de la Sécurité sociale, sur une politique de
ressources en raison de la nature de la dépense qui soit juste et pérenne.
IL EST URGENT DE REDÉFINIR LE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
La ministre des comptes publics s’est livrée à une nouvelle attaque en règle en proclamant que les services de l’État devraient accroître leur “productivité” de 2% par an.
Ces derniers jours, le Gouvernement a repris de plus belle les attaques contre le service public.
À l'occasion de l'audition de Bruno Le Maire, ex-ministre de l'Économie et des Finances, concernant sa part de responsabilité dans l'aggravation du déficit public, Sandra Demarcq, secrétaire générale du syndicat Solidaires Finances Publiques, était l'invitée de l'émission LeMedia diffusée en direct le 12 décembre.